Les stress thermiques résultants du réchauffement climatique menacent les capacités reproductives des mouches drosophiles. C’est le résultat d’une étude menée par des chercheurs anglais des universités de Sheffield et Exeter, parue dans Journal of Evolutionnary Biology. Une des membres de l’équipe, Rhonda Snook, explique : « Nous avons principalement montré que les populations de drosophiles diffèrent dans leurs capacités à faire face aux changements climatiques et que la reproduction de certaines populations peut vraiment être affectée. »
Pour parvenir à cette conclusion, Rhonda Snook et ses collègues ont choisi d’étudier deux populations de drosophiles de l’espèce Subobscura. L’une provenait de Valence, en Espagne, et l’autre d’Uppsala, en Suède. Après avoir prélevé ces deux populations dans leur milieu naturel, les chercheurs ont étudié leur reproduction. Ils ont placé des œufs de chacune dans des éprouvettes à deux températures différentes : 18 oC, soit une température normale de développement, et 23,5 oC, une situation de stress thermique.
Lorsque les larves sont devenues des drosophiles à maturité, les chercheurs les ont fait se reproduire entre elles afin d’étudier leurs œufs et le sperme pour les mâles. Les résultats sont sans appel, la viabilité des œufs et la mobilité du sperme étaient plus faibles pour les mouches ayant subi la température de 23,5 °C. Même si la population de Valence semble moins affectée par ce changement de température.
Une baisse de la fertilité
Pour Vincent Debat, enseignant chercheur au Muséum national d’histoire naturelle et spécialisé en génétique du développement, « l’étude est intéressante parce que non seulement sont étudiés des paramètres absolus [mortalité et stérilité] mais aussi un paramètre quantitatif tel que la fertilité ». Pour étudier celle-ci, les chercheurs anglais ont distingué un stress thermique (toujours à 23,5 °C) subi lors du développement, un stress subi à l’âge adulte, ou les deux.
Ils en concluent qu’un changement important de température durant l’état larvaire entraîne ensuite pour la drosophile une baisse de fertilité significative, et ce pour les deux populations. Si la variation de température est subie à l’âge adulte, il n’y a pas de conséquence notable sur la fertilité.
Pour Rhonda Snook, ces résultats sont inquiétants : « Les larves ne peuvent pas s’échapper de leur environnement, donc si elles subissent un stress thermique dans leur milieu naturel, la fertilité des drosophiles sera forcément impactée. »
Autre point à souligner, la population de drosophiles de Valence est moins affectée par ces différents stress thermiques. Pour Vincent Debat, « les populations espagnoles étant plus situées dans une latitude centrale, elles sont plus en contact avec d’autres populations que les suédoises, plus marginales, et présentent une plus grande variation génétique qui leur permet une meilleure adaptation ».
Les dangers des vagues de chaleur
Rhonda Snook veut aller plus loin : « Ces résultats peuvent être généralisés. Tous les organismes passant par un état non mobile lors de leur développement sont susceptibles de subir l’impact du réchauffement. Les insectes sont particulièrement concernés. » Depuis l’ère préindustrielle, la température terrestre a augmenté de 1,2 °C, nous sommes donc encore loin des 5,5 °C ajoutés dans l’étude, mais les éléments climatiques extrêmes de plus en plus fréquents, comme les vagues de chaleur et les sécheresses, pourraient avoir d’importantes conséquences sur la survie de certains organismes.
Pour le biologiste du développement Nicolas Gompel, de l’université de Munich (contributeur du cahier « Science & Médecine » du Monde), ces résultats sont tout de même à nuancer : « Le problème, c’est que l’on a sorti ces mouches de leur environnement : même si le laboratoire a attendu quelques générations entre le moment où les populations de mouches sont arrivées et le début des tests, les drosophiles ne s’étaient sûrement pas encore adaptées à ces nouvelles conditions. »
Le principal défi pour les chercheurs va être maintenant d’essayer de comprendre précisément quels changements génétiques permettent à certaines populations d’être plus résistantes que d’autres aux variations thermiques.