• Article Libération 11.12.20116

    Méthane dans l’atmosphère : le bétail qui change tout

    Par Coralie Schaub
    Paris, le 26 février 2016. Derniers préparatifs avant l’ouverture du Salon de l’agriculture. Photo Laurent Troude

    Selon une étude publiée ce lundi, la concentration mondiale du gaz qui piège 28 fois plus de chaleur que le CO2 a fortement augmenté ces deux dernières années.

    C’est une nouvelle alerte sur le climat, et elle a de quoi inquiéter sérieusement. Les concentrations de méthane dans l’air sont en train d’exploser au niveau mondial, constate une équipe internationale de scientifiques dans un article publié ce lundi dans Environmental Research Letters. Alors que cette hausse était relativement stable entre 2000 et 2006, cela a changé en 2007 avec un emballement particulièrement marqué en 2014 et 2015. Durant chacune de ces deux dernières années, les concentrations de méthane ont explosé de plus de 10 parties par milliards (une partie par milliard, ou ppb, est une unité de mesure indiquant qu’il y a une molécule de méthane pour un milliard de molécules). «C’est un contraste saisissant par rapport au début des années 2000, quand les concentrations de méthane augmentaient seulement de 0,5 ppb en moyenne chaque année», soulignent les scientifiques.

    Beaucoup moins présent dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone (CO2), le méthane est un gaz à effet de serre bien plus puissant, puisqu’il «piège 28 fois plus de chaleur». «La stabilisation de la hausse des émissions de CO2 ces trois dernières années contraste spectaculairement avec la récente augmentation rapide des concentrations de méthane», remarque Robert Jackson, professeur à l’université Stanford (Etats-Unis) et coauteur de l’article. Les résultats pour le méthane sont «préoccupants, mais fournissent l’occasion d’agir immédiatement pour réduire ce risque, en complément des efforts faits sur le C02».

    Vaches. Selon les chercheurs, ce bouleversement pourrait compromettre les efforts de lutte contre le changement climatique. «Si nous voulons contenir la hausse des températures moyennes du globe à 2°C [par rapport à l’ère pré-industrielle, comme le prévoit l’Accord de Paris, ndlr], nous ne devrions pas suivre cette voie et il est nécessaire de réagir rapidement pour inverser la tendance», insiste Marielle Saunois, enseignante-chercheuse à l’Université de Versailles Saint Quentin (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement) et auteure principale de l’étude.

    Mais les raisons de cette situation «ne sont pas encore bien comprises», admet-elle. L’emballement des deux dernières années en particulier est «vraiment intrigant». Il est en effet difficile de pister précisément les émissions de méthane, notamment parce qu’elles peuvent provenir de sources très différentes. «Contrairement au CO2, presque tout est diffus en ce qui concerne le « budget méthane » mondial. Des vaches aux zones humides en passant par les rizières, son cycle est plus compliqué», explique Robert Jackson. Mais une série d’informations (issues de l’inventaire à grande échelle des émissions de cette molécule, de mesures des concentrations dans l’air et de modèles informatiques) suggèrent que ce cycle a été énormément modifié au cours des deux dernières décennies.

    Les auteurs de l’article ont participé à l’élaboration de l’édition 2016 du «Global Methane Budget», dont la version finale est publiée ce 12 décembre, une étude diffusée tous les deux ou trois ans par la plateforme internationale de recherche Global Carbon Project. Elle présente un aperçu le plus complet possible des flux de méthane entre 2000 et 2012, et constate que les émissions anthropiques (d’origine humaine, qui représentent environ 60 % de la production de cette molécule chaque année) ont augmenté après 2007, bien que cela soit difficile à quantifier précisément. Beaucoup de défenseurs de l’environnement se sont inquiétés de l’impact du développement de l’exploitation du gaz naturel (en particulier de schiste), le méthane pouvant s’échapper des puits de gaz et de pétrole.

    Huile de lin. Mais selon les chercheurs, l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles représente environ un tiers de la production anthropique de méthane. La source la plus probable de la hausse récente des émissions serait plutôt l’agriculture. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le nombre de têtes de bétail dans le monde est passé de 1 300 millions en 1994 à près de 1 500 millions en 2014. Et les cultures de riz ont augmenté de façon similaire dans beaucoup de pays asiatiques. Or le système digestif des vaches émet de grandes quantités de méthane. Et les sols inondés des rizières favorisent la prolifération des microbes qui en produisent.

    Mais pour Marielle Saunois et Robert Jackson, le bilan n’est pas totalement négatif. Ils mettent en avant les recherches pour réduire les émissions de cette molécule dans les fermes. Enrichir l’alimentation des vaches en huile de lin semble permettre de diminuer la quantité de méthane qu’elles dégagent. «Il y a eu beaucoup d’attention portée sur l’industrie des énergies fossiles, mais nous devons regarder autant sinon plus du côté de l’agriculture, estime Robert Jackson. La situation n’est certainement pas désespérée, c’est une réelle opportunité.»

    Etonnant toutefois que les chercheurs ne mentionnent pas, parmi les pistes permettant d’expliquer cette explosion de la concentration de ce gaz, l’amorce d’un rejet massif du méthane par les sols dû au réchauffement climatique, comme l’indiquait une étude publiée dans la revue Nature le 1er décembre.

    Coralie Schaub

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